La fille du passeur ___________________ Paroles G. Brassens Probablement écrite en 1970 Ici sur la musique de "Cupidon s'en fout" Voici comment, à Quatorz’ années d’âge, J’obtins la méda- Ille de sauvetage. Y’ avait autrefois Sur notre rivière Un pont dont, ma foi, La ville était fière. Un pont dont, ma foi, La ville était fière. La guerre survint. Des raisons tactiques Sonnèrent la fin Du vieux pont rustique. On a fait sauter Ses deux pauvres arches, Afin d’arrêter L’ennemi en marche. Afin d’arrêter L’ennemi en marche. Lequel en dépit De ce stratagème, Étant amphibie, Est passé quand même. Avec son radeau, Lors vint un bonhomme Qu’était passeur d’eau, Comme on les dénomme, Qu’était passeur d’eau, Comme on les dénomme, Au nez bourgeonné, À la rouge trogne, La voix avinée, Le parfait ivrogne ! Quand il était gris, Prévenant un drame, C’est sa fille qui Se mettait aux rames. C’est sa fille qui Se mettait aux rames. Pour deux sous comptant, Quelque temps qu’il fasse, Vous m’nait en deux temps Sur la rive d’en face. De l’autre côté, J’avais rien à faire. Mais cette beauté Avait su me plaire. Mais cette beauté Avait su me plaire. Et, pour le profit D’ voguer avec elle, Mille fois je fis Les frais de nacelle. Il advint qu’un jour Une grosse lame, Au tiers du parcours, Emporte une rame. Au tiers du parcours, Emporte une rame. À la mi-chemin, Un’ lame plus forte De sa frêle main L’autre rame emporte. Enfin, presqu’au bout, Une lame pire Sens dessus dessous Tourne le navire. Sens dessus dessous Tourne le navire. Moi qui n’aim’ pas l’eau, Que l’eau terrifie, J’ai bravé le flot Pour sauver sa vie. Elle a dit : « J’ai froid… Déjà, je grelotte. Ma robe, je crois, Il faut que je l’ôte. Ma robe, je crois, Il faut que je l’ôte. Les rhumes d’été, Faut qu’on les évite. Si tu veux m’aider, Ça ira plus vite. C’est la prime fois Qu’un garçon m’enlève Ma robe et me voit En costume d’Ève. Ma robe et me voit En costume d’Ève. S’il passe un serpent, J’y demande comme Comme l’on s’y prend Pour offrir la pomme. Elle me provoquait, La fine matoise. Moi, je débarquais Tout droit de Pontoise. Moi, je débarquais Tout droit de Pontoise. J’avais quatorze ans, Le respect des filles Et les poches en- Cor’ pleines de billes. Et, pour la vertu De la demoiselle, Sans doute ai-je dû Montrer trop de zèle. Sans doute ai-je dû Montrer trop de zèle. Au lieu de lorgner Toutes ces merveilles, Je m’ suis détourné, Bayant aux corneilles. Au lieu de poser Mes deux pattes croches Dessus, je les ai Mises dans mes poches. Dessus, je les ai Mises dans mes poches. Prenant ma candeur Dans son amour-propre Pour de la froideur, Ell’ remit sa robe. Puis elle me jeta D’une voix cruelle : « Va donc finir ta Partie de marelle. » « Va donc finir ta Partie de marelle. » Pleine de rancœur, Elle dit : « Je t’engage Comme enfant de chœur À mon mariage. » Dès le lendemain, Ell’ courut, docile, Accorder sa main À un imbécile. Accorder sa main À un imbécile. J’ai su bien après Que cette ficelle Avait tout exprès Coulé sa nacelle. Bien après, j’ai su Que cette mâtine Nageait aussi sû- Rement qu’une ondine. Nageait aussi sû- Rement qu’une ondine. Il ne me resta Rien d’autre en partage, Rien qu’une méda- Ille de sauvetage.